Sée...ma vallée !
Sée…ma vallée !
- A Pierre Aguiton -
Balbutiante mais déjà si fière d’être en vie,
Je dévale, faible encore, les pentes de Sourdeval.
De peur qu’on ne m’arrête, ou bien qu’on me dévie.
Je fuis, sans me retourner, ma haute terre natale .
Quand vient le pont de « Sée « j’ai déjà pris confiance
J’existe, je porte un nom, on m’a laissé ma chance.
La première confluence est là pour me grossir
Fière, je longe la Cité de l’inox qui m’ attire .
Puis, je me prélasse, les soirs d’automne, je paresse.
Mes versants s’ irisent aux teintes de l’été indien.
Pourquoi, maintenant, faudrait-il que je me presse
Puisque mon énergie, ici, ne sert plus à rien ?
Parfois voilée d’un ruban d’opale, oubliée,
Bleuie de nostalgie, les souvenirs ressortent :
Commérages de lavoirs et secrets bien gardés
D’amours naissantes sur tendres feuilles mortes.
A Cuves, le cliquetis languissant du moulin
Tout doucement me réveille, au petit matin,
Me rappelant les cent machines à papier
Qu’à Brouains, mes eaux vives ont tant fait tourner.
A peine frémissante, bordée d’aulnes, de peupliers
Je contourne Brécey, sans même la réveiller ;
Envieuse, toutefois, qu’au profit du plan d’eau
Ingrats, me délaissent cols verts et poules d’eau.
Un bief, ici et là, ralentit mon courant.
Celui des Pêcheries, au printemps, me ravit.
Les embruns de sa roue, brumisent au gré du vent
Ficaires et jonquilles qui étoilent la prairie.
Rien de plus romantique sur mes rives ombragées,
De plus joyeux, que ces abreuvoirs improvisés
Où la mère, attentive, au milieu du troupeau,
A se désaltérer, invite son petit veau.
Les pêcheurs affectionnent mes méandres de Vernix.
J’apprécie vivement leur discrète compagnie
Que j’aimerais leur donner pleine satisfaction,
Attirer en saison des cohortes de saumons .
Il me plait maintenant de sagement m’attarder
De musarder à l’ombre de l’église de Tirepied .
Pourrai-je rêver plus loin ? J’ai soudain un doute
Je crains les durs méfaits de la proche autoroute !
Très curieuse, il m’arrive de sortir de mon lit.
Avranches est bien tentante, une soirée d’hiver.
J’ai pleinement conscience de l’ampleur du délit.
Et de ce vil caprice très rarement j’exagère .
Viennent les grèves, mes rives aux fiers herbages,
Sous les vivats des agneaux, j’embrasse la Sélune :
Ma sœur jumelle, à Vezins , prise en otage.
Et progresse, amoureuse d’un jeune clair de lune.
Quand, surgit de la brume, au profil incertain,
La récompense méritée de ce long chemin ;
La Merveille des merveilles,
Superbe ! A nulle autre pareille !
L’or de l’archange, subtilement se reflète
Sur les flots bleuis de mes vagues discrètes .
Le mascaret, jaloux, très brusquement me freine,
Mais une dernière ondée m’enfle et m’entraîne
Tout droit vers le Mont et son frère Tombelaine.
Très intimidée, je rougis à leurs pieds
Sous le ciel enflammé de ce long soir d’été.
Dans la masse océane, amère je m’évanouis
Embrasée sous l’orage ; arc en ciel de folie !
Triste désillusion ! Désir d’éternité !
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